Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien

La question des brevets logiciels, c’est toute l’Europe qui en parle...

Au moment où, le 17 mai dernier, était discutée au Sénat italien une motion signée par 99 sénateurs, toute coloration politique confondue, contre le brevetablité des logiciels en Europe, s’est déroulée en Italie une grande journée nationale de mobilisation à l’initiative du sénateur Vert Fiorello Cortiana.
On a ainsi vu fleurir de très nombreuses initiatives en particulier dans les écoles, universités et centres de recherches qui ont ponctuellement réussi à toucher aussi bien le grand public que les grands médias.

La Free Software Foundation de Richard Stallamn s’est associée à ce mouvement en rédigeant à l’attention du Parlement italien une lettre ouverte de sensibilisation.

Nous vous en proposons ici une traduction française non officielle , œuvre collective des forums du site Framasoft (remerciements particuliers à mpop, chacha et Nico).

Cher membre du Parlement italien

Si l’Union Européenne autorise le dépôt de brevets sur des techniques logicielles, les développeurs et les utilisateurs européens de logiciels seront exposé au risque suivant : le risque d’être poursuivis en justice à cause des idées intégrées aux logiciels qu’ils utilisent ou développent.

Contrairement au droit d’auteur [NDT : "copyright"], qui protège les détails d’un programme dans son ensemble mais pas les idées qu’il met en jeu, un brevet logiciel impose un monopole d’état sur l’utilisation d’une technique. Or un logiciel complexe utilise des milliers de techniques de ce genre. Dans un pays qui permet de breveter de telles techniques, un programme complexe peut enfreindre des centaines de brevets à la fois. (Linux, le noyau utilisé par le système d’exploitation GNU, enfreint aux États-Unis 283 brevets différents, selon une étude réalisée l’an passé)

À quoi ressemblent donc ces techniques ? Pensez à la "barre de progression" qui se remplit petit à petit, de 0% à 100%, pour montrer la progression dans la réalisation d’une tâche précise confiée à un programme : cette technique représente une petite partie de plusieurs milliers de programmes réalisant des tâches nombreuses et variées ; elle est également brevetée, selon l’Office européen des brevets, et représente l’un des 50000 brevets logiciels émis illégalement par cette institution, en totale contradiction avec le traité qui l’avait établie. Si la directive européenne sur les brevets logiciels donne une validité juridique à ces brevets, les développeurs et utilisateurs des milliers de logiciels concernés pourraient tous être menacés de poursuites judiciaires.

Un programme informatique ressemble à un roman : c’est un grand assemblage de détails qui, en se combinant, intègrent à l’ensemble de nombreuses idées diverses. Imaginez maintenant que n’importe quelle idée littéraire puisse être brevetée, par exemple « Une scène amoureuse avec une femme sur un balcon », ou encore « les yeux bleus d’une personne semblables à l’océan ». Quiconque écrirait un roman violerait alors des dizaines ou des centaines de brevets, et il deviendrait alors bien plus difficile d’écrire un roman qui ne vous propulse pas devant les tribunaux que d’écrire un bon roman. Ce n’est pas la meilleure façon de promouvoir l’écriture, aussi bien celle des romans que celle de programmes informatiques.

La pression en faveur des brevets logiciels provient principalement des grandes multinationales de l’informatique. Celles-ci soutiennent les brevets logiciels parce qu’elles en détiennent chacune des milliers aux Etats Unis, et veulent les importer en Europe. Si l’Europe autorise les brevets logiciels, ces grandes sociétés (la plupart d’entre elles étrangères à l’UE) auront à leur disposition un moyen de contrôle de l’utilisation de programmes en Europe.

La plupart de nos législateurs n’a jamais développé de programmes, et est la proie de mythes relatifs aux effets des brevets logiciels. Par exemple, le mythe selon lequel un brevet protège la totalité du produit. Si vous dites qu’un développeur de logiciel pourrait obtenir un brevet pour « protéger son programme » vous faites appel à ce mythe. J’ai déjà expliqué plus haut ce qu’il en est réellement.

Ensuite, il y a le mythe selon lequel les brevets peuvent « protéger » un petit inventeur face à la concurrence des grands groupes informatiques. Si cela était vrai, les grands groupes ne seraient pas en faveur des brevets logiciels. En règle générale, chaque groupe utilise les milliers de brevets qu’il détient afin de pousser les autres à consentir des licenses croisées. Ainsi le programme innovant du petit inventeur va-t-il combiner ses quelques idées nouvelles et brevetées avec des centaines (ou des milliers) d’idées dejà répandues, dont certaines sont brevetées par IBM, d’autres par Microsoft, etc. Les grands groupes vont le forcer à accepter une licence croisée, puis ils le concurrenceront exactement comme s’il n’y avait pas de brevet.

Ensuite vient le mythe selon lequel les entreprises américaines seraient avantagées tant que les États-Unis ont des brevets logiciels et l’Europe non. Si c’était vrai, les entreprises américaines et le gouvernement américain ne feraient pas pression sur l’Europe pour autoriser les brevets logiciels. En réalité, c’est le contraire : l’Europe détient un avantage.

Les brevets américains ne s’appliquent qu’aux États-Unis, mais tout le monde peut obtenir un brevet americain. Les entreprises européennes peuvent obtenir, et obtiennent, des brevets logiciels américains, et attaquer les developpeurs de logiciels américains. Mais, actuellement, les américains ne peuvent pas obtenir de brevets logiciels européens et attaquer des européens. Aussi longtemps que l’Europe rejette les brevets logiciels, l’Europe détiendra cet avantage.

Si l’Europe maintient cet avantage, en rejetant les brevets logiciels, mon pays estimera peut-être finalement nécessaire de s’aligner en changeant sa politique insensée [NDT : "foolish policy"]. Aidez-nous à sauver les États-Unis des brevets logiciels, en commençant par vous en sauver vous-mêmes.

Sincèrement.

Richard Stallman
Président de la Free Software Foundation
Membre de la Fondation MacArthur

Commentaires

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> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 4 juin 2005 (0 rép.)

Oui Richard Stallman ! Tu as raison. Cela deviendra de plus en plus infernal. On tuera la créativité , sauf peut etre en matière juridique ? C’est le "droit" qui va produire des génies qui pourraient un jour faire fructifier les découvertes de l’antiquité !!!

Prenez les exemples suivants : les algorithmes étendues d’Euclide, les différents algorithmes modernes basés sur le théorème chinois des restes (qui date de l’antiquité) , etc ... Moi même je prétends que je suis un inventeur en 1975 d’un algorithme basé sur le théorème chinois ! je l’ai enseigné à mes étudiants à cette époque et je continue à l’enseigner et à l’enrichir et l’étendre à d’autres cas plus généraux !

-----> On tuera mème la créativité dans l’enseignement !

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> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 19 mai 2005 par Benoit (10 rép.)

Comme d’habitude ici, un article très intéressant. Par contre je me pose quand même une question, peut être un peu hors sujet, mais terriblement d’actualité : En quoi la constitution européenne, objet du référendum du 29 mai, fera évoluer ce problème des brevets logiciels ?

La réponse "ca n’a rien à voir" est bien sûr acceptée...

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 19 mai 2005

ça n’a rien à voir ;)

ne confondons pas constitution et textes législatifs d ’application (décrets, lois, etc...)

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 19 mai 2005

Si vous n’avez pas suivi cette affaire, sachez que le fond de l’affaire a été l’achargement de la commission et l’adoption sans vote du parlement.

En votant oui à la nouvelle constitution, les règles du jeu entre commission qui propose d’une part et parlement qui vote sont plus claires.

Donc selon les règles de la nouvelle constitution, les brevets logiciels auraient auraient au moins été soumis au vote des parlementaires.

Selon les règles actuelles, la commission a voulu passé en force. Il y a eu deni de démocratie.

Que l’on me corrige au besoin.

Cordialement à tous :-)

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 19 mai 2005 par jurisjazz

ce que j’aime bien avec CETTE constitution c’est qu’à chaque fois que l’on pose un pb, quel qu’il soit, la réponse est toujours "ça n’a rien à voir"

OR la Constitution est au sommet de la pyramide normative et si elle fixe les principes politiques fondamentaux , ceucx ci doivent IMPERATIVEMENT etre respectés par toutes les normes inférieures, appliquées par les juges . (en pratique Juge et Loi c’est un débat plus expert non pas que cela me désintéresse mais je déteste le clavier des pc...)

Si on considere que les LL constituent l’expression technique et informatique de libertés plus fondamentales, alors la protection du principe meme de la liberté des log devrait prendre sa source "plus haut" que ds des Lois ou Reglements donc ds la Constitution... Donc rien n’est en dehors [ pas forcément de la C stricto sensu , mais au moins] des principes constitutionnels. La liberté d’acces aux sources et outils de la connaissance, du savoir et du travail comme liberté constitutionnelle d’un 4e type.

[2e pb : ce qui me gene ici c’est la présence de principes économiques et financiers de type "non public "dans une Constitution , ça par contre c’est à mon avis hors sujet.] maintenant référendum et LL là c’est un peu plus distendu comme lien.. ; :)

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 19 mai 2005 par hervé couvelard

Non, il ne faut pas dire des mensonges (même des petits). La nouvelle constitution entérine bien le fait que la commission européenne (organisme issue des gouvernements sans vote des peuples) peut se passer de l’avis du parlement (lui issue du vote) dont la seule parade est le refus de conciliation (tout rejetter en bloc) ou démettre la commission.

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 20 mai 2005 par jean louis

est ce que la constitution pourrait me faire un café aussi, sans sucre ?

Effectivement, le TCE a quelquechose à voir avec cette affaire : , le 20 mai 2005 par jmfayard

Les brevets seront adoptés ou non sous le régime du traité de Nice. (Le plus probable étant un abandon de la directive, les positions du Parlement Européen et du Conseil n’étant pas conciliables).

Maintenant, si l’affaire avait eu lieu sous le TCE, il y aurait eu une nouveauté interessante pour nous : les protocoles 1 et 2.

Ils fixent les pouvoirs des Parlements nationaux dans le fonctionnement de l’Union européenne. En donnant un droit de regard en amont aux parlements nationaux avant le vote des gouvernements qui représentent leurs pays au Conseil des ministres, ils rétablissent d’une certaine façon la distinction entre législatif et exécutif. En effet, dans le traité actuel (mais aussi dans la Constitution), au Conseil, chambre des Etats, les pays sont représentés par les gouvernements ! À partir du moment où le Conseil a essentiellement une fonction législative, cette façon de construire du législatif au second degré en passant par l’étape d’un exécutif national peut paraître choquante.

Quel sera l’effet de ces "avis" des parlements nationaux ?

Soyons clair : dans la France actuelle, AUCUN.

Cependant, dans les pays à forte tradition démocratique, ce protocole ouvre la voie à un mandat impératif des parlements nationaux quant à ce que doivent voter leurs gouvernements en Conseil ou en Conseil européen. Ainsi, les 5 parlements qui s’opposent actuellement à la position de leurs gouvernements au Conseil, en première lecture, à propos des brevets logiciels, auraient pu, grâce au TCE, obliger ces gouvernements à inverser leurs votes.

C’est le sens de la ratification du TCE par le Bundestag (le parlement allemand pour les non-initiés), qui n’a été arrachée qu’une fois cette exigence satisfaite.

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 20 mai 2005 par mpop

Tu aurais les références exactes des articles auxquels tu fais référence ? Ça m’intéresse beaucoup. En effet j’ai deux problèmes avec ce traité constitutionnel

1 - c’est un mélange d’institutions et de directives politiques (Traité + Constitution), ce qui me chagrine un peu...

2 - je ne suis pas sûr qu’il apporte suffisamment de garanties démocratiques, comme un pouvoir fort du parlement européen et non un rôle consultatif.

Ma question porte donc surtout sur le deuxième point.

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 20 mai 2005 par jmfayard

mpop< : ne t’inquiètes pas, tu n’es pas le seul à te poser des questions. Regarde ce lien pour voir les articles relatifs aux parlements nationaux. http://medias.lemonde.fr/mmpub/edt/zip/20050520/115245/constit_theme07.pdf

Il y a ce qui s’applique à tous les parlements nationaux : faire respecter les principes de subsidiarité et de proportionnalité (on prend les décisions au plus près des citoyens, sauf si on peut être plus efficace à l’échelon d’au-dessus) ; rôle correspondant aux clauses de révisions.

Puis entre les lignes, il y a le rôle de levier que peut jouer cette information préalable dans les pays à forte tradition démocratique et parlementaire (comme l’Allemagne, pas comme notre Ve république). J’ai suivi les débats au Bundestag lors de la ratification, et je dois dire que ca m’a fait très plaisir, il y a des vrais débats, la majorité n’est pas à la solde du gouvernement ni l’opposition ridicul(e)(isée). Si vu de loin on a l’impression qu’il s’agit d’un OUI unanime, en réalité, bien qu’éternels "bons élèves" européens, ils regrettent qu’on enlève des compétences aux Länder et au Bundestag sans les confier aussi clairement au Parlement Européen. Pour contrebalancer celà, ils n’ont voté OUI que après avoir obtenu ce protocole sur lequel ils vont s’appuyer pour établir la pratique qu’un vote extra-ordinaire du Bundestag sur une question législative (comme c’était le cas sur les brevets) lie le vote du ministre allemand au Conseil.

Bref, une bonne idée à importer en France. On peut renforcer la démocratie européenne en commencant par la renforcer chez nous.

Maousse discussion sur Framasoft concernant le TCE , le 20 mai 2005 par Etienne

Le Traité instituant une Constitution pour l’Europe (TCE) est très largement débattu au cours de plus de 45 pages à l’heure où j’écris, dans l’un des forums de Framasoft.

Le problème des brevets logiciels y est évoqué, entre autres.

Cette discussion est intéressante notamment car elle met en présence des "ouistes" et des "noniens".

-----> "La Constitution européenne pour les nuls... comme moi !"

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 25 mai 2005 par fitzgibbon

je n’ai personnellement pas trouvé ce fil sur le forum très impartial. Ca démate du ouiste à tour de bras....

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> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 19 mai 2005 par windu.2b (1 rép.)

Tout est dit dans cette lettre et l’exemple du roman est très bien choisi ! En espérant que cela touche la conscience des députés italiens (puis des députés européens) car sinon...

> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 19 mai 2005 par Crocus

... sinon, il ne reste plus que l’illégalité et la résistance !

Ou peut-être revenir à la situation que beaucoup d’entre nous ont connu : utiliser un OS pas libre (comme XP M$ ?) sans s’acquiter de sa licence. En fait, si je pousse un peu le raisonnement, les brevets logiciels pourraient favoriser le piratage et l’utilisation frauduleuse de ces logiciels sous brevet !

Un comble pour une démarche censée protéger leurs auteurs...

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> Brevets logiciels : Lettre ouverte de Richard Stallman au Parlement italien , le 19 mai 2005 par PhiX (0 rép.)

Les grande clarté et volonté pédagogique du discours de Richard Stallman font une nouvelle fois mouche.

Merci à Aka pour le scoop et la promptitude de la traduction en français !

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